30 Maggio 2005
Jacques Chirac dans le collimateur des partisans du non
Fonte: Le Monde
La salve n’a pas tardé après la victoire tonitruante du non au référendum sur le traité établissant une Constitution européenne. Et elle a été puissante. Les principaux tenants du non, tant à gauche qu’à droite, ont appelé à la démission de Jacques Chirac. Car son implication dans la campagne il est intervenu trois fois à la télévision pour défendre le oui l’avait placé en première ligne.
Jean-Marie Le Pen, président du Front national, a estimé que le chef de l’Etat “s’est profondément impliqué au lieu de rester neutre, comme sa fonction d’arbitre lui imposait, (…) et qu’aussi bien lui que son gouvernement doivent rendre leur mandat au peuple, qui s’est prononcé sans équivoque”. Pour Philippe de Villiers, le président du Mouvement pour la France (MFP), la France connaît “une crise politique majeure”, que “seul le président de la République peut dénouer (…) soit par sa démission, étant donné qu’il s’est quand même lourdement engagé, soit par la dissolution de l’Assemblée nationale”.
SE DÉMETTRE OU SE SOUMETTRE
A gauche, Jean-Luc Mélenchon, un des chefs de file du non au Parti socialiste, a déclaré : “Ou il se soumet, ou il se démet, mais s’il pense qu’il n’y a pas de renégociation possible [de la Constitution], “il faut qu’il s’en aille”. Le sénateur PCF Robert Hue a estimé que le président “doit absolument porter ce que pensent les Français”, et que “s’il ne veut pas le faire, qu’il se démette”. L’ancien porte-parole de la Confédération paysanne, José Bové, a considéré lui aussi que le président, s’il ne veut pas demander la renégociation du traité, “doit se démettre et de nouvelles élections présidentielles doivent avoir lieu”. Alain Krivine (Ligue communiste révolutionnaire) a estimé que “ceux et celles qu’on a élus il y a quelques années ne nous représentent plus” et “qu’il est temps que Chirac, Raffarin et ce Parlement foutent le camp”.
Les partisans du oui de gauche ont aussi suggéré une telle démission. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l’Assemblée nationale, a demandé à M. Chirac “d’avoir la décence de démissionner”. Le porte-parole du PS, Julien Dray, a déclaré “n’accorder plus aucun crédit à la parole présidentielle” et “souhaiter que le président en tire lui-même un certain nombre de conséquences”.
Face à cette déferlante, Jacques Chirac, qui avait exclu une démission en cas de victoire du non lors de son débat avec des jeunes le 14 avril, a implicitement confirmé sa position dimanche soir lors d’une très brève allocution télévisée, affirmant qu’il “défendrait les positions de notre pays” lors du Conseil européen du 16 juin à Bruxelles.
RASSEMBLEMENT A L’UMP
A droite, le président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, a estimé que la période qui s’ouvre “exigera l’unité de toute l’UMP et le soutien au président de la République”.
L’ensemble des ministres ont martelé le mot d’ordre du rassemblement autour du chef de l’Etat. Il y a “nécessité de faire bloc” autour du président (Gilles de Robien, transports), “besoin de se rassembler” derrière lui (Michel Barnier, affaires étrangères). Il faut “que nous soyons rassemblés derrière le président de la République” pour Michèle Alliot-Marie (défense), il faut “se rassembler derrière le président de la République” (Philippe Douste-Blazy, santé), “cela vaut la peine de se rassembler autour du président” pour Jean-François Copé (budget, porte-parole du gouvernement), “il faut impérativement rassembler la France derrière” M. Chirac, pour Thierry Breton (économie).
SITUATION DÉLICATE
Le président de la République demeure néanmoins dans une situation délicate. Pour s’en sortir, il a laissé entendre ce que beaucoup supputaient : avec l’échec du référendum, le gouvernement devrait être remanié et le premier ministre Jean-Pierre Raffarin, quitter ses fonctions. Mais cela ne saurait suffire aux yeux de ses opposants et même de certains ténors de la droite. Ainsi François Bayrou, président de l’UDF, a-t-il jugé que l’annonce d’un changement de gouvernement n’était “pas à l’échelle de ce qui vient de se passer”, et il a demandé au chef de l’Etat de lancer un “débat national” pour “aider” la France à sortir d’une crise “gravissime”. “Il faut tout mettre sur la table. Après un désaveu aussi brutal que celui-là, ce n’est pas de trop. Nous ne pouvons pas continuer comme cela. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une refondation de la République et de la démocratie françaises” , a-t-il ajouté.
DISCRÉDIT EN EUROPE
A ces conséquences intérieures s’ajoute le discrédit sur la scène internationale, là où il a le plus marqué son autorité en faisant entendre la voix, souvent dissonante, de la France. Jacques Chirac risque fort d’être vu comme le premier président français à n’avoir pas su empêcher une séparation entre la France et l’Europe. Le chef de l’Etat a affirmé qu’il défendrait à Bruxelles les positions de la France “en tenant compte des messages des Françaises et des Français” qui se sont exprimés en faveur du non, laissant entendre qu’il plaiderait pour une inflexion sociale de la construction européenne. Mais il a aussi concédé que le non rendra plus “difficile” la défense des intérêts français.
Au soir de ce dimanche 29 mai 2005, le chef de l’Etat, qui a connu de lourdes défaites et de grandes victoires, en quarante ans de vie publique et dix ans de pouvoir à l’Elysée, est une nouvelle fois contraint de faire la preuve de sa maîtrise de l’art de rebondir.